Spiritualité et équitation - 5 - de la Morale












Couplé au renoncement, évoqué la semaine dernière, l’Interdit met fin à certaines de vos pulsions, caprices, désirs… en tant que limite.


 Il s’agit du même interdit qui dicte vos actes pour assurer votre place dans la société et une cohabitation pacifiée avec l’autre : la politesse, la courtoisie, la cordialité… Elle existe aussi en équitation. 

L’usage de la violence physique, la maltraitance par ignorance, par avidité ou par ingérence… l’atteinte à l’intégrité physique ou morale du cheval, à sa dignité ou à ses besoins primaires… sont les premiers interdits, mais il en sont d’autres, plus subtiles, que vous découvrez et observez avec attention et que nous évoquerons ces prochaines semaines.


Par la limite qui vous est imposée dans l’interdit équestre, vous êtes invité à reconnaître l’existence du cheval, dans toute sa condition d’être vivant et surtout, dans son individualité.

Son espace que vous n’empiétez pas, sa volonté dont vous acceptez qu’elle diverge de la votre, ses capacités que vous exploitez sans exiger qu’il vous donne davantage que ce qu’il est capable de donner…

Peut-être considérez vous ces désirs interdits comme nécessaire à votre épanouissement. Sa docilité, son talent, sa vitesse, son agilité, sa volonté… Vous les considérez comme un dû, un gain ou, simplement, comme un bien qui est votre davantage que sien.


Avec ces interdits, avant même de prendre conscience du don qui vous est fait, (vous accueillir dans son espace, autoriser le contact de votre main sur son corps, lui qui est si peu tactile, vous recevoir sur son dos et laisser votre volonté dominer la sienne dans le contrôle de son propre corps…) vous découvrez, ou prenez conscience, d’une chose : ce qu’il vous manque, ce que vous désirez, ce que le cheval « dérobe » à vous (cette allure qu’il n’a pas prise, cette immobilité qu’il vous refuse, cet obstacle, cette légèreté et tant d’autres…Pensez-y la prochaine fois que vous descendrez de cheval : voyez si vous trouvez à votre monture davantage de réticences que de dons, et veillez aussitôt à changer votre point de vue).

La manière dont vous vous emparez de ces réticences, ou bien les considérez, définie votre propre individualité. Est-elle humble et dépouillée, ou bien capricieuse et insatiable ? En d’autres termes, monter à cheval vous procure de la joie, ou de la frustration ?


Car ces choses qui sont de l’autre côté de la limite, c’est à vous de décidez si vous allez vous en emparer en dépit de la bienveillance ou si vous les laissez partir.


Juger de ce qui est bien et ce qui est mal dans votre pratique de l’équitation et votre rapport au cheval n’est pas toujours de votre ressort, encore moins celui des autres.


Ce qu’il se passe entre vous et votre monture est complexe à partir du moment où vous cherchez à vous ouvrir à elle et à l’ouvrir à vous. Une relation qui sera à la fois à votre image et à celle de votre cheval, dans laquelle il est possible que vous répétiez les mêmes écueils que dans vos relations humaines. 

A cette différence que le cheval, lui, vous pardonne car il vit dans l’instant. Il reste lui-même face à vous en toute circonstance, sans filtre et il ne tient qu’à vous de passer un bon moment, ou non, en sa compagnie.


Aimer consiste à entrer et à désirer dans un univers constitué et marqué par les différences et le manque. Votre reconnaissance et votre respect de ce que vous n’avez pas, de la non connaissance de votre propre valeur, du bien ou du mal sont ce qui vous rend plus humain, être sans limite, et non lesté par le poids de ses doutes et ses frustrations.


L’interdit, cette limite que vous considérez comme une frustration, n’a donc de sens que s’il vous ouvre au cheval, sa fonction n’est pas de priver, mais de donner.


Ainsi, une mauvaise culpabilité est le poids que vous accordez à l’interdit, la limite, à l’échec… en le considérant uniquement sous son aspect privatif, ce qui ne peut que susciter le conflit qui en vient à nourrir une nouvelle culpabilité, qui, elle-même, va renfermer les interdits… Le cercle vicieux.

Lorsque c’est ainsi, cavalier, vous ne savez rien faire d’autre que souligner vos défauts, justifier vos erreurs en pointant le cheval ou vos propres tares du doigt. Vous avez des objectifs, mais les atteindre ne vous procure aucune joie, car vous en trouvez systématiquement un autre et, ainsi, le progrès est pour vous une escalade durant laquelle vous ne voyez rien d’autre que le sommet, mais vous ne voyez rien du paysage que vous traversez et oubliez chaque étape qui passe pour vous concentrer sur la suivante sans accorder d’importance à celle que vous vivez sur le moment.


La joie n’existe pourtant que dans l’instant présent, nulle part ailleurs.


Une saine culpabilité reconnaît l’aspect d’ouverture présent dans l’interdit. Vous reconnaissez le conflit qui vous habite cette différence entre ce que vous pouvez obtenir par vos moyens et ceux du cheval, et ce que vous aimeriez obtenir en dépit de vos propres limites et celles de votre monture. 

Vous reconnaissez la non toute-puissance de votre liberté, au nom de celle de votre cheval. Cela passe aussi par le nécessaire dépassement de vos besoins et désirs pour rentrer dans une histoire relationnelle.


Accompagné de professionnels, ou de connaissances solides, vous tracez, consciemment, la ligne entre vos compétences, celles de votre monture, et vous vous épanouissez du bon côté de cette ligne, car c’est ainsi que vous la repousserez, bien plus loin que ce que vous pensez de vos limites.


Ainsi se révèle le jeu de la culpabilité. 


Mal géré,  ce sentiment augmente vos exigences et les étend de plus en plus loin pour contenir votre pratique en l’enfermant dans ses mailles, au point que le sport devient un combat, ou bien vous vous sentez toujours coupable vis à vis de vous-même et de votre monture, ce qui vous entraine vers une dépréciation de vous-même ou une recherche de perfection… Ou bien vous vous rassurez d’avoir suivi en tous points les consignes bornées des maitres, enseignant, coach… que vous trouvez, sans jamais vraiment les comprendre.


Pour devenir le cavalier que vous êtes, vous avez donc l’interdiction d’être celui que vous n’êtes pas.


La culpabilité ouvre à une histoire où vous apprenez à vous assumer, et à dire votre désir en l’articulant autour du cheval. Elle a un rôle de médiatrice. 

Elle incarne la genèse de votre conscience morale. 


La culpabilité peut attirer la négation de toute ambition (abandonner la recherche de performance par crainte de porter atteinte à l’intégrité physique du cheval, ce qui n’est pas une bonne excuse, car un cheval peut s’épanouir dans son domaine de prédilection s’il est guidé avec justesse et intelligence), renfermer sur la dépréciation de l’équitation (abandonner ce sport par soucis éthique, ce qui est aussi l’excuse de la facilité, car un humble cavalier, qui travaille sur lui-même afin de se présenter à sa monture avec un réel soucis d’apprentissage et de partage, peut tisser des liens ineffable avec l’animal, qui le portera sans souffrir de contraintes ou de luttes) ou un désir inavoué de toute puissance (se plonger dans une équitation destructrice, sans valeur et sans compromis, ou le cheval, généralement « muselé » et fortement contraint, devient le triste piédestal d’un cavalier qui refuse de voir ses propres fautes et considèrent les limites, les siennes ou celles du cheval, comme une provocation à mater) .


La culpabilité tournoie avec l’interdit. Il marque par la non coïncidence entre votre désir et l’intégrité du cheval. C’est un entrainement vers le perfectionnisme (désir de prouver ses compétences face à l’autre et désir d’éviter toute erreur, donc tout désir, donc la condition même du cavalier harmonieux…)


La danse de ce couple ne peut être rompue que si le miroir dans lequel il se mire est brisé : à vous de reconnaître quels désirs sont à la source de votre équitation : la relation à l’animal ? La recherche de prestige ? Le dépassement de vous-même ? 

Qu’attendez-vous de votre cheval que vous n’attendez pas de vous-même ?


Avec les chevaux, l’on ne peut pourtant demander que ce que l’on donne, alors… Concentrations, efforts, sacrifice de soi, docilité, immobilité ou impulsion… Que possédez vous vous-même que vous seriez prêt à lui donner pour le recevoir en retour ?


La culpabilité, en signifiant le cavalier comme acteur ou agent moral, ouvre à une responsabilité en renvoyant ainsi à la peur de perte de l’estime de soi et de l’autre. Elle témoigne d’un désir d’être qui est aussi à la racine de la morale.


« Il y a à la base de la Morale et du Désir, une puissance d’être, d’exister, qui fait que l’éthique s’apparente à l’odyssée de la liberté, au passage de la servitude à la béatitude.»


Spiritualité et équitation - introduction

Spiritualité et équitation - 1 - Du mal

Spiritualité et équitation - 7 - De la création
Spiritualité et équitation - 8 - De la pratique
Spiritualité et équitation - 9 - Du tact
Spiritualité et équitation - 10 - De la liberté
Spiritualité et équitation - 11 - De la peur
Spiritualité et équitation - 12 - De respiration
Spiritualité et équitation - 13 - Du souffle
Spiritualité et équitation - 14 - De l'agoisse
Spiritualité et équitation - 15 - Du cheval comme "Autre Moi"
Spiritualité et équitation - 16 - De la nature
Spiritualité et équitation - 17 - De l'instant
Spiritualité et équitation - 18 - De la langue
Spiritualité et équitation - 19 - De la politesse
Spiritualité et équitation - 20 - Du vocabulaire
Spiritualité et équitation - 21 - De la grammaire
Spiritualité et équitation - 22 - De la discussion
Spiritualité et équitation - 23 - De la parole
Spiritualité et équitation - 24 - De l'être pensant
Spiritualité et équitation - 25 - De la joie
Spiritualité et équitation - 26 - De convocation




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